Violences contre les femmes : l’Amérique latine et les Caraïbes face à une crise invisible mais généralisée


À l’approche du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes, l’Amérique latine et les Caraïbes affichent des chiffres qui sidèrent autant les spécialistes que la société civile. Malgré des décennies de mobilisation, de lois pionnières et de campagnes massives, la région reste l’un des épicentres mondiaux des violences physiques, sexuelles et féminicides. Derrière les statistiques, les experts alertent sur un phénomène encore largement sous-estimé : le sous-enregistrement, l’impunité structurelle et la peur de signaler les agressions masquent la véritable ampleur de la crise.

La définition de la violence basée sur le genre, établie par l’ONU dès 1993, englobe toute atteinte physique, sexuelle ou psychologique, ainsi que les menaces, la coercition ou la privation de liberté. Pourtant, une partie importante des homicides de femmes dans la région ne sont jamais traités comme potentiels féminicides. Beaucoup sont classés comme simples assassinats, sans enquête sur les motivations ou sur l’histoire de violences antérieures.

Les campagnes de prévention se multiplient, mais leur impact reste limité par des systèmes judiciaires débordés et des institutions souvent incapables de protéger les victimes. Au Salvador, malgré une législation spécifique depuis plus d’une décennie, seules 6 % des plaintes déposées entre 2015 et 2021 ont débouché sur une condamnation. Dans l’ensemble du continent, les données convergent : une femme sur trois a déjà subi des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, et une sur quatre a connu ces violences dans le cadre du couple.

Les adolescentes ne sont pas épargnées : 21 % d’entre elles vivent leur première expérience de violence avant 20 ans. Les femmes de plus de 65 ans ne sont pas davantage protégées, près d’un quart affirmant avoir été agressées physiquement ou sexuellement au cours de leur existence. Ces violences sont donc transgénérationnelles, enracinées, structurelles.

Les cas médiatisés rappellent brutalement la réalité derrière les chiffres. En Argentine, le triple féminicide de Brenda del Castillo, Morena Verdi et Lara Gutiérrez, torturées puis assassinées lors d’une diffusion en direct en 2025, a bouleversé toute la région. Au Mexique, l’agression sexuelle subie publiquement par la présidente Claudia Sheinbaum a mis en lumière un phénomène qui touche toutes les classes sociales. Les données publiques confirment l’évidence : plus de six Mexicaines sur dix de plus de 15 ans ont subi des violences. Et dix femmes en moyenne sont tuées chaque jour dans le pays.

En Colombie, plus de 60 000 plaintes pour violence intrafamiliale ont été enregistrées rien que lors du premier semestre 2024, dont trois victimes sur quatre étaient des femmes. Entre 2015 et 2024, plus de 6 000 femmes y ont été tuées, une part significative présentant les traits d’un féminicide. En 2024, près de 76 % de toutes les violences de genre recensées visaient des femmes.

Honduras demeure toutefois le pays le plus meurtrier pour les femmes dans la région. En 2025, une femme y est assassinée toutes les 32 heures. Avec un taux de 7,2 féminicides pour 100 000 femmes, le pays surpasse de loin la République dominicaine, El Salvador ou la Bolivie. Malgré les lois, malgré les initiatives internationales comme Spotlight (ONU-UE), malgré les observatoires statistiques, la réalité persiste : la violence progresse plus vite que les réponses institutionnelles.

La situation n’est pas isolée au continent américain. À l’échelle mondiale, l’ONU estime que 840 millions de femmes ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire. En 2024, 50 000 femmes et filles ont été tuées par un proche, soit 137 par jour. Le contraste est saisissant : 60 % des féminicides mondiaux sont commis dans la sphère familiale, contre seulement 11 % des homicides d’hommes.

Face à ces chiffres, une constante demeure : les femmes victimes de discriminations multiples — pauvreté, origine ethnique, handicap, migration — sont les plus exposées aux violences et les moins susceptibles d’obtenir justice. La visibilité accrue grâce aux mouvements féministes permet d’exposer cette réalité, mais le chemin vers une protection réelle reste long.

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