AUKUS sous revue : pas de panique, le pacte reste solide


La nouvelle selon laquelle le Département américain de la Défense a lancé une révision du partenariat AUKUS a mis en ébullition les milieux de la défense à Canberra, les critiques habituels affirmant déjà que l’accord est en train de « couler ». Pourtant, cette fébrilité collective est plus dangereuse que la révision elle-même. L’examen de routine mené par Washington ne change rien de fondamental : les risques sont connus et les dispositifs de protection mis en place par l’Australie restent adaptés.

Bien que le Pentagone n’ait pas encore confirmé officiellement cette révision, des sources fiables et l’absence manifeste de surprise à Canberra confirment qu’elle est bien en cours. Certains commentateurs en attribuent la cause à des différends commerciaux, aux sanctions australiennes contre des ministres israéliens ou encore aux pressions américaines pour que Canberra augmente son budget de défense. Plus probablement, la nouvelle administration Trump a intégré AUKUS dans la réécriture accélérée de sa Stratégie nationale de défense, attendue pour août — la première depuis que le « parcours optimal » du partenariat a été défini en 2023. Notons que l’Under Secretary of Defense for Policy, Elbridge Colby, supervise à la fois cette révision d’AUKUS et la réécriture de la stratégie.

Le ministre australien de la Défense, Richard Marles, a reconnu publiquement être au courant depuis plusieurs semaines — sans doute informé par le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, lors du dialogue de Shangri-La. La fuite semble d’ailleurs soigneusement orchestrée, à l’approche probable d’une rencontre entre Donald Trump et Anthony Albanese en marge du G7, alors que l’Australie a récemment refusé d’augmenter son budget de défense simplement sur demande de Washington.

Pas de bouleversement à attendre

Malgré la place qu’occupe cette révision dans les discussions, elle n’annonce aucun bouleversement pour AUKUS. Les projets de défense sont toujours complexes, et celui-ci, le plus ambitieux et coûteux jamais entrepris par l’Australie, comporte des risques significatifs. Des risques qu’il faut gérer avec vigilance. Mais le profil de risque du partenariat reste identique : les défis en matière de main-d’œuvre, de calendrier et de production sous-marine aux États-Unis demeurent ceux identifiés dès 2021, lorsque l’accord fut annoncé, et confirmés en 2023 avec la définition du parcours optimal pour l’acquisition des sous-marins nucléaires australiens.

Que conclura donc cette révision ? Le Congrès américain a déjà inscrit les dispositions clés d’AUKUS dans la loi via le National Defense Authorization Act, et le soutien bipartisan reste solide. Les responsables américains continuent d’afficher leur appui : le secrétaire d’État Marco Rubio qualifie AUKUS de « modèle de coopération alliée » ; Hegseth affirme que le président le soutient pleinement. Même Colby — aujourd’hui à la tête de la révision — déclarait en mars devant le Congrès : « Nous devons tout faire pour que cela fonctionne. » Malgré l’absence remarquée de toute mention d’AUKUS dans le discours de Hegseth à Shangri-La, le contexte politique reste donc favorable.

Un partenariat stratégique vital pour Washington

Pourquoi cette révision serait-elle défavorable ? AUKUS apporte beaucoup aux États-Unis. L’Australie investit 5 milliards de dollars dans les chantiers navals américains et accueillera des sous-marins US pour leur maintenance, réduisant ainsi les temps de transit et de carénage. Au-delà du pacte lui-même, Canberra a renforcé son soutien opérationnel en autorisant la rotation de marines à Darwin, l’accueil de bombardiers US et l’expansion des infrastructures logistiques. Tout cela s’appuie sur des infrastructures stratégiques cruciales, comme les stations de Pine Gap et Harold E. Holt, qui permettent aux États-Unis de communiquer avec leurs sous-marins nucléaires dans l’Indo-Pacifique. Les avantages pour Washington sont donc considérables.

L’Australie demeure au cœur de la capacité américaine à réagir à une éventuelle crise liée à la Chine dans la région — une priorité de la nouvelle Stratégie nationale de défense américaine en cours de finalisation. Hegseth l’a rappelé à Shangri-La, évoquant la menace « imminente » que représente Pékin dans la région.

Dans toute l’Asie du Sud-Est et du Nord-Est, l’Australie est perçue comme l’allié le plus fiable de Washington. Un éventuel recul américain sur AUKUS serait immédiatement remarqué, sapant la crédibilité américaine et sa stratégie de dissuasion face à la Chine.

Les vrais risques à surveiller

Rien de tout cela ne signifie qu’AUKUS est sans risque, ni que la révision ne pourra pas ajuster certains détails. Mais un abandon ou une refonte totale paraît hautement improbable. La véritable menace pour Canberra serait un retard, ou pire, l’annulation de la livraison promise des sous-marins de classe Virginia. La flotte actuelle de Collins, mise en service entre 1993 et 2003, fonctionne déjà au-delà de sa durée de vie prévue. Même selon le calendrier actuel, l’Australie se dirige vers un vide capacitaire sous-marin, et un glissement dans la livraison des Virginia l’aggraverait encore. Ces sous-marins constituent l’étape indispensable avant la construction conjointe des futurs sous-marins d’attaque nucléaires SSN-AUKUS avec le Royaume-Uni.

Certains réclament un « plan B », mais la réalité est brutale : AUKUS est déjà le « plan C ». Des décennies de retards et de changements dans les programmes de remplacement des navires et sous-marins ont conduit à cette situation. Aucun « plan D » crédible ne permettrait désormais d’éviter un vide capacitaire.

Conclusion

En résumé : la révision du Pentagone sur AUKUS est une procédure de routine, pas un signe d’effondrement du partenariat. AUKUS a déjà survécu à des changements de gouvernements à Canberra et à Londres — il survivra à celui-ci aussi. Ce pacte reste complexe et risqué, mais Washington y gagne trop pour l’abandonner, et les premiers signaux de la nouvelle administration demeurent positifs. L’Australie devra bien, tôt ou tard, augmenter ses dépenses de défense — ce qui était inévitable et devient simplement assumé publiquement. AUKUS ne coule pas ; le vrai danger serait que l’Australie perde son sang-froid. Il faut continuer, accepter les secousses et les retards, et la capacité suivra.

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